Soumise à différents aléas et risques naturels, la ville du Prêcheur a décidé de prendre son avenir en main : relocalisation de l’école, renouvellement de l’habitat, autonomie alimentaire, etc. Accompagnée par l’État et soutenue par le Plan Urbanisme Construction Architecture, cette démarche globale sonne le coup d’envoi des révolutions urbaines qui devront être menées à court et moyen terme sur tous les territoires littoraux.
Une démarche atypique pour suivre ce projet
Financée par la Deal Martinique, l’équipe de Marennes Oléron Télévision (www.mo-tv.fr) spécialisée dans la vidéo participative a suivi et accompagné pendant six mois (février à juillet 2019) un groupe de douze habitants du Prêcheur pour réaliser un documentaire vidéo racontant avec leurs mots et leurs regards cette expérience de re-fondation urbaine. D’une durée de quarante minutes, « Rasin Kas. Le Prêcheur, histoires de résilience » alterne images d’illustrations, images d’archives et interviews d’habitants, de spécialistes, d’élus, de techniciens et de professionnels pour pouvoir partager avec d’autres territoires la réalité d’un village soumis aux aléas climatiques en ce premier quart de XXIe siècle. Le film est accessible en ligne sur les sites de Mo-Tv, de la Deal Martinique et la chaîne Youtube du ministère de la Transition écologique et solidaire.
La carte postale est là. Devant nous, au bord de l’eau, à flanc de montagne, dans les ruelles du bourg, derrière les rires des enfants. Tout, dans l’environnement du Prêcheur, prédispose à un assemblage baroque pour offrir au visiteur émerveillé et surpris un coin de paradis ambiance Caraïbes. La tête dans les nuages et d’un calme olympien, la montagne Pelée surveille tout ce petit monde en laissant les grimpeurs s’échiner sur ses flancs. Vingt cinq millions d’années plus tôt, c’est à Saint-Anne qu’est né le premier centre éruptif de la Martinique. Il y a tout juste 150 000 ans, la Pelée clôturait cette aventure géologique qui donna naissance à l’île. La plaque nord atlantique continuant de passer sous la plaque caraïbe, le magma remonte toujours à la surface, principalement pour former des volcans sous-marins avec, peut-être, demain, la naissance d’une nouvelle île.
Pour les habitants du nord de l’île, le volcan est donc à la fois « épée de Damoclès et bénédiction » telle que l’analyse Anne Marie Lejeune, directrice de l’Observatoire de volcanologie et de sismologie de la Martinique. « On sait bien qu’un jour la montagne se réveillera et qu’il faudra alors partir mais à la différence de 1902, les signes avant-coureurs et les anomalies sont aujourd’hui détectées bien plus tôt pour donner l’alerte et sauver des vies. » Côté bénédiction, l’écosystème unique de la montagne permet à une végétation luxuriante de s’épanouir et aux agriculteurs locaux d’alimenter les marchés locaux et insulaires.
« La mise en place d’un projet alimentaire territorial réellement qualitatif fédère tous les agriculteurs de la commune, témoignent ainsi Charles Cyril et Paulliane Nuissier, producteurs maraîchers. En tout, nous avons plus de trente références de produits disponibles localement et, malgré les problèmes de gestion du foncier, principalement liés aux indivisions et aux conflits infra-familiaux, la majorité des terres sont accessibles via des routes bétonnées. » Et cet aspect est loin d’être anodin au Prêcheur où la pente est raide pour accéder aux sommets des mornes.
1902 et 1929, deux dates qui jalonnent des parcours
Grand paysage découvert et vue imprenable sur la mer des Caraïbes récompensent alors celui ou celle qui aura laissé quelques suées ou morceaux d’embrayage dans les lacets. Les terrains les plus plats et les plus mécanisables ont déjà été valorisés en priorité près du bourg avec la mise en place d’un système d’irrigation provenant directement de la montagne. Petit à petit le monde agricole remonte donc vers les hauteurs pour trouver d’autres endroits de production sur les flancs de la Pelée si propices à la production agricole.
« N’oublions pas que 1929, l’année de la petite montagne, fait suite à la grande éruption volcanique de 1902 qui avait rasé Saint-Pierre et tué quatre cents prêchotains la veille, explique le professeur Saffache, géographe et universitaire. La commune concentre toute la palette des risques naturels et la population sait que lorsqu’elle doit migrer, elle n’est pas toujours bien accueillie. Les souvenirs douloureux de celles et ceux qui ont atterri dans les quartiers de Fond- Lahaye et de la Démarche à Schoelcher ou de Tivoli à Fort de France en 1902 en témoignent. Après le référendum de 1930 la population a émis un choix clair : rester vivre ici mais en sécurité ».
C’est ce cocktail entre histoire, événement géologique et situation géographique qui constituerait « l’esprit du Prêcheur » présenté et/ou revendiqué par un certain nombre d’acteurs locaux. À l’instar du maire Marcellin Nadeau pour qui *« la re-fondation du Prêcheur autour d’une nouvelle école-refuge parasismique et anticyclonique représente un acte politique fort destiné à protéger les populations. En lien étroit avec les services de l’État, nous devons penser l’aménagement du bourg sur le moyen et long terme en considérant les houles cycloniques et les risques de lahars comme des éléments incontournables du paysage ».*L’équivalent de six millions de frigos présents dans la rivière
Ces lahars, véritables torrents de boue emportant avec eux pierres, roches, troncs d’arbre, etc. détruisent tout sur leur passage. Celui qui menace le Prêcheur est né de l’effondrement de la falaise Samperre, située à huit kilomètres du village et haute de trois cents mètres. « Les flancs de la montagne se sont constitués au fil des 150 000 dernières années de roches, de cendres, d’avalanches, etc. qui aujourd’hui ne tiennent que grâce à leur propre poids et au tissu racinaire de la végétation, rappelle Mme Lejeune. Celle-ci subit les épisodes climatiques extrêmes que nous connaissons et les racines ne peuvent plus jouer ce rôle de maintien ». Conséquence directe, une autre falaise en cours de création a été observée en haut de la rivière sèche sur le flanc sud, sud-ouest de la Pelée et menace également les biens et les personnes en aval.
Ce sont ainsi l’équivalent de six millions de frigos de 1m3 qui attendent dans le lit de la rivière traversant le village. Véritable bombe à retardement, cet amas de roche et de cendre est péniblement géré par une petite entreprise locale qui tente de vider cette marée de cailloux avec ses engins de chantiers. « Les matériaux qui sont extraits sont de très bonne qualité pour refaire des routes ou fabriquer du ciment et nous suivons bien entendu ce chantier très attentivement, explique Patrick Bourven directeur de la Deal Martinique. Il faut absolument que la zone en amont du pont soit vidée avant la saison des pluies pour protéger l’ouvrage ».
C’est dans ce contexte atypique que l’atelier d’architecte-paysagiste Madec a été sélectionné par le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) pour proposer un plan-guide à la ville du Prêcheur afin de structurer sa re-fondation à vingt-trente ans, penser la nouvelle école et des habitats renouvelés via la construction de nouveaux logements dans une logique de performance environnementale. « Les étudiants du DSA de Marne la Vallée avaient ouvert la réflexion, rappelle Antoine Petitjean architecte pour le groupement de maîtrise d’œuvre, et nous avons pu inscrire notre travail dans cette continuité afin d’offrir une alternative aux gens les plus soumis aux risques. La première démarche a été de visiter les maisons pour comprendre comment les gens habitent aujourd’hui afin de penser collectivement un futur souhaité et validé pour continuer à vivre dans la commune ».
Une réflexion allant de l’expérimentation à la phase opérationnelle
« C’est très clairement sur ce point précis qu’intervient le PUCA en donnant un cadre juridique pour permettre de passer de l’intention de réalisation à un stade pré-opérationnel afin d’engager concrètement cette stratégie de recomposition spatiale sur le terrain, abonde Emmanuelle Durandau, secrétaire permanente adjointe de la structure. Et nous allons même plus loin en lançant maintenant une grande consultation nationale pour développer des modes de construction adaptés aux réalités locales en s’appuyant sur les principes de l’économie circulaire ».
Une paysagiste, une ethnologue et des architectes martiniquais ont également apporté leur expertise à la démarche lors des balades urbaines, des réunions thématiques ou des forums participatifs qui ont émaillé ces six mois de travail entre janvier et juillet 2019. « Dans cette démarche globale, nous ne voulions surtout pas proposer un projet prêt à l’emploi mais déployer une méthodologie spécifique adaptée à ce contexte mêlant risque, résilience et renouvellement urbain. Toute l’histoire de la commune se raconte dans ce va-et-vient incessant entre les hauteurs et le bord de mer mais parler de relocalisation de l’école et d’école-refuge n’est pas anodin dans la vie d’un village, dans la vie des habitants et il fallait absolument être capables de créer les conditions du dialogue, de permettre à tout le monde de s’exprimer » rappelle l’ethnologue Melodie Vidalain, membre du groupement de maîtrise d’œuvre.
Les acteurs privés sont bien entendu concernés par le sujet et notamment les restaurateurs qui ont vu le trait de côte reculer d’une centaine de mètres lors des trente dernières années. Pour certains, le message des assurances est simple et clair : plus de contrats possibles ou alors il faudra se résoudre à trouver un nouvel emplacement moins soumis aux risques. Mais au pays de la carte postale, les images de bord de mer sont uniques « même si la réalité nous oblige à voir les choses autrement, rappelle Thierry Dasini, propriétaire d’un établissement situé en bord de mer et à proximité de la rivière. Lors du dernier lahar, tout est monté très vite et le flux a emporté les fondations sous mes fours extérieurs. J’ai bien pensé tout perdre. Du sable a été remis mais au prochain épisode, cela ne tiendra pas et tout risque d’être emporté. Moi qui suis né ici, j’ai toujours été serein mais pour la première fois j’ai douté après 2018 ».
La nouvelle école devrait ouvrir ses portes d’ici trois ans
« Les forts épisodes de lahars enregistrés pendant cette période ont marqué un avant et un après dans la gestion du risque au Prêcheur, confirme Emmanuel Baffour sous-Préfet de l’arrondissement. Il y a eu plus de 300 alertes dans l’année et la sirène a retenti à de nombreuses reprises, bien souvent la nuit en créant ainsi un climat difficile dans la population. La gestion de crise s’est très bien effectuée avec plus de vingt réunions avec les services et les autorités concernés et trois réunions publiques pour que la population sache exactement de quoi il retourne. » Depuis, un lit picot prêt à l’emploi ne quitte plus son bureau. Les soixante-douze premières heures sont en effet cruciales dans une situation d’urgence puisque l’isolement est alors le plus complet. D’où la nécessité de penser en amont le stockage de l’eau potable et l’accès à l’énergie pour recharger téléphone et ordinateur afin de recréer au plus vite des canaux de communication efficients.
Conscient de ces impacts psycho-sociaux, la mairie a pris le sujet à bras le corps en en faisant son projet politique global. Pour Laure Thierée, paysagiste pour le groupement de maîtrise d’œuvre, « c’est une stratégie excellente car le Prêcheur possède toutes les ressources pour tendre vers l’autonomie énergétique et alimentaire notamment grâce à la richesse de sa biodiversité. Après les drames humains de 1902, les différents épisodes de lahars et les dernières tempêtes tropicales, s’opère actuellement une nouvelle étape naturelle et fédératrice pour la vie du bourg et le quotidien de ses habitants. Le sujet prospectif de la gestion autonome de l’eau représente également un enjeu d’avenir ».
Le fonds Barnier sera sollicité à hauteur de quatre millions d’euros pour le financement de l’école et 150 000 euros ont déjà été provisionnés par l’Etat pour réaliser une étude complémentaire permettant de gérer au mieux les matériaux dans la rivière. Dans le contexte local insulaire particulier, un terrain d’entente serait en passe d’être trouvé avec les carriers positionnés dans le secteur du BTP pour vider la rivière de tous ses matériaux. En parallèle, de nouveaux géophones, capables de discerner les bruits annonciateurs de lahars, ont été installés dans la rivière tandis que les centres de recherche en vulcanologie travaillent de concert et en réseau pour améliorer leur compréhension de ces phénomènes et, surtout, être capables de les prévoir. Philosophe, Raymond Angelie fils, petit-fils et arrière petit fils de pêcheur et lui même travailleur de la mer souligne « qu’il ne sera pas facile de vivre dans la cité ou dans les hauteurs alors que nous avons toujours connu le bord de mer. Bien entendu, on surveille la météo chaque jour, notamment lors de la période des houles cycloniques mais avant de partir, il faut se protéger. » Les maigres enrochements présents devant sa maison paraissant toutefois bien frêles par rapport à la puissance des houles cycloniques.
Une première étape dans la nouvelle ère des habitats renouvelés
« La réalité des changements climatiques à venir va créer de nouvelles menaces évidentes sur les littoraux et grâce à ce travail collectif nous passons de la théorie à la pratique, résument Patrick Bourven et Anne Catlow, cheffe du pôle logement et ville durable à la Deal Martinique. La mise en œuvre opérationnelle est longue et c’est pour cette raison qu’il faut entamer les démarches, les études et les travaux dès maintenant. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère : celle des travaux de protection dans le cadre de la prévention des risques majeurs. » Les élèves, heureux de cette évolution, et associés avec leurs parents, leurs enseignants et les personnels communaux à la démarche, ont été rassurés par le maire : la nouvelle école devrait ouvrir ses portes dans trois ans.
Auteur d’un mémoire sur une proposition d’éco-habitats pour son diplôme en 1978 après une rencontre avec René Dumont, l’architecte Serge Gunot, membre du comité de pilotage, souligne qu’il est « fondamental que le groupement de maîtrise d’œuvre ait mis les questions du vivant et de la relation avec l’environnement au cœur de la réflexion. Ils ont l’humilité de considérer que les habitants ont déjà, au fil des années, forgé leur univers en essayant de trouver un juste équilibre et celui-ci doit être préservé. Cela signifie donc que les structures qui seront choisies pour construire ne devront pas avoir la productivité et la rentabilité comme seuls mantras. Ici comme ailleurs, le processus ne peut plus l’emporter sur l’humain : le spectre des grues sur rail de Sarcelles nous le rappelle tous les jours ».
Le Prêcheur étant une première étape d’une série de reconstruction et d’habitats renouvelés qui auront lieu demain à Trinité, Basse-Pointe ou au Robert, il est donc fondamental de ne pas rater d’étapes dans la méthodologie de projet. Signe du destin ou réalité de terrain, les sirènes annonçant un lahar ont déchiré la nuit préchotine à 22h04 le jeudi 4 juillet 2019 quelques heures avant que le Préfet et le PUCA n’annoncent officiellement le lancement de la démarche expérimentale d’habitats renouvelés.
Références
Cet article fait suite à un autre, écrit par Marcellin Nadeau, maire du Prêcheur et diffusé dans la Pierre d’Angle en décembre 2018, qui expose la refondation du bourg du Prêcheur, démarche singulière expérimentale d’adaptation au changement climatique : « La résilience au Prêcheur, une utopie refondatrice ? »